Quand Albert Camus rencontre un coach agile

La semaine dernière, j'évoquais le management de transition et Albert Camus.

Quel rapport entre les deux ? Je ne sais pas trop. Il parait que Albert Camus n'a rien écrit sur cela.

Mais si on lui avait posé la question, qu'est-ce qu'il aurait pu en dire ?

L'avantage des technologies actuelles, c'est qu'elles permettent de faire parler les morts qui ont beaucoup écrit et sur lesquels on a beaucoup écrit.

Interrogeons d'abord Albert Camus.

Tu as dit que "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". N'est-ce pas un peu pareil de dire que "Manager une transition, c'est ajouter au malheur des organisations" ?

Ah, cher interlocuteur, vous touchez là à une vérité qui a quelque chose de sibyllin, et même, disons-le, de profondément moderne. Dans cette question, on entend la résonance du langage technique qui habite désormais toutes nos entreprises humaines, cette façon d'emprunter des mots et de les tailler en concepts pratiques, parfois opaques. Oui, "manager une transition", c'est à la fois un acte et une abdication : on s'efforce de donner forme au changement, mais on le fait avec des mots qui appauvrissent l'âme de ce que l'on transforme.

Dans L'Étranger, j'ai parlé du soleil qui accable Meursault, mais c'était une lumière crue, honnête, qui dévoilait sans détour. En revanche, quand on dit "manager une transition", on maquille le réel, on applique un vernis rationnel à ce qui est souvent une rupture brutale, une déchirure humaine et existentielle. À mal nommer la transformation, c’est vrai, on alourdit la peine de ceux qui doivent la vivre, car on réduit leur expérience à des cases, des processus, des méthodes, tous dénués de chair.

Il est essentiel, même dans le cadre des organisations, de nommer les choses avec exactitude et vérité. Une "transition" n’est jamais seulement un objectif à atteindre ; c'est une perte, une redéfinition, et parfois même un déchirement. Les mots dont on l'habille doivent pouvoir faire écho à ces réalités, sans quoi l'organisation elle-même se mutile, se robotise. Si l'on ne se méfie pas, elle devient un organisme qui perd le sens, aveuglé par sa propre recherche de performance.

Ainsi, pour éviter d'ajouter au "malheur des organisations", nous pourrions dire qu'il est bon de "comprendre une transition", ou mieux, de "traverser un changement", car ce sont là des mots qui invitent à l'expérience, à la marche, et non à la gestion froide d’une manœuvre.

Que pourrait en penser un coach agile ?

Analyse la réponse d'Albert Camus en te référant aux valeurs et principes des méthodes agiles. Explique les enseignements que l'on peut en tirer.

Ah, la réponse de "Camus" résonne étrangement bien avec l'esprit des méthodes agiles ! En tant que coach agile, je trouve que cette réflexion invite à repenser certains fondamentaux agiles, qui eux aussi insistent sur la nécessité de sens, de clarté et d'authenticité. Voyons ensemble les liens et les enseignements qu’on peut en tirer pour nos pratiques.

1. Les mots ont un sens : Honorer la valeur des interactions humaines

Dans le Manifeste Agile, nous privilégions les interactions humaines plutôt que les processus et outils. Camus nous rappelle ici l'importance de ne pas édulcorer les expériences humaines avec un jargon déshumanisant. Trop souvent, dans les transitions agiles, on parle de "managers du changement" ou de "sprints de transition" sans toucher à la véritable expérience vécue par les équipes. Au lieu de réduire les expériences à des termes techniques, nous devrions peut-être mieux écouter les ressentis et les inquiétudes des équipes, et nommer ce qu’elles traversent avec des mots justes, en respectant l’aspect humain du changement.

2. "Manager une transition" vs. "traverser un changement" : Encourager l'adaptation constante

Camus oppose "manager une transition" et "traverser un changement" en soulignant l’aspect humain et fluide de ce dernier terme. Cette distinction fait écho au principe agile de répondre au changement plutôt que de suivre un plan rigide. En agile, nous valorisons l’adaptation continue, en reconnaissant que le changement est un chemin, pas seulement une étape gérable et prévisible. "Traverser" une transition, c’est encourager les équipes à s’adapter, à réfléchir collectivement à leurs parcours, et non simplement appliquer une gestion froide du changement.

3. Créer du sens : Le pourquoi avant le comment

Un autre principe clé de l'agilité est de constamment générer de la valeur, mais pour cela, il faut aussi savoir pourquoi nous faisons les choses. Camus insiste sur l'importance de "nommer avec vérité", de décrire le réel sans fard. En tant que coachs agiles, nous savons que l'adhésion des équipes repose en grande partie sur la clarté et le sens des transformations engagées. Pourquoi adoptent-ils une nouvelle pratique ? Comment cela s’inscrit-il dans une vision collective ? Le sens, en agile, est essentiel pour éviter que les équipes ne suivent les pratiques sans conviction.

4. Un langage vrai : Favoriser la transparence et l’ouverture

Camus évoque la tentation de masquer les réalités humaines derrière des termes techniques. Les méthodes agiles, à l’inverse, valorisent la transparence : chaque membre de l’équipe doit pouvoir exprimer ouvertement ses doutes, ses craintes et ses besoins. Cette authenticité est indispensable pour éviter les frustrations qui naissent quand on tente d’ignorer ou de simplifier des émotions bien réelles. Un langage honnête crée la confiance, tandis qu'un langage "corporate" peut aliéner les membres de l'équipe en réduisant la portée de leurs ressentis et en imposant des cadres rigides.

5. Prendre soin de l’organisation comme d’un être vivant : Respecter les rythmes et l’évolution naturelle

Enfin, Camus nous invite à voir l’organisation non pas comme une machine à transformer, mais comme un organisme vivant, traversant des étapes d’évolution. En agile, nous parlons de cycles d’amélioration continue, de sprints itératifs, en respectant le rythme d’apprentissage de l’équipe. Plutôt que de "manager la transition" vers l’agilité, il peut être plus juste d’accompagner les équipes dans leur progression, de les guider sans imposer une cadence artificielle.

En Conclusion

Ce que la réflexion de Camus nous apprend, c’est l’importance d’aborder la transition agile avec authenticité, avec une écoute sincère de l’expérience humaine. Les valeurs agiles nous invitent à adopter des changements qui résonnent avec les équipes, à favoriser l'adaptation plutôt que le contrôle, et à bâtir un langage de vérité pour que chacun puisse s'approprier la transformation. C'est en embrassant pleinement le réel de ce que vivent les équipes, sans enjoliver, sans travestir, que nous ajoutons de la valeur – et réduisons le malheur dans le monde des organisations.

Ma conclusion à moi, c'est qu'on pourrait en 2 ou 3 jours écrire un bouquin "Les grands auteurs revisitent les méthodes agiles" et il serait de bien meilleure qualité que la plupart des écrits que l'on trouve sur ces méthodes agiles.

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